DEUXIEME CENTURIE
1. Qui aime sincèrement Dieu prie aussi absolument sans
distraction, et qui prie absolument sans distraction aime aussi sincèrement
Dieu. Or, il ne prie pas sans distractions, lÕhomme qui garde son esprit rivé, à
quelque objet terrestre. Donc celui-là n'aime pas Dieu qui garde son esprit
attaché à quelque objet terrestre.
2. Si l'esprit s'arrête longuement sur un
objet sensible, c'est quÕune passion l'y retient attaché : convoitise, ou
tristesse, ou colère, ou rancune. Et tant qu'il ne méprise pas cet objet, il ne
peut s'affranchir de cette passion.
3. Les passions qui subjuguent l'esprit
le lient aux objets matériels, le séparent de Dieu en l'occupant tout entier de
ces objets. Mais si l'amour de Dieu prend le dessus, il le délivre de ces liens
et lui fait mépriser non seulement les objets sensibles, mais même notre vie
temporelle.
4. L'effet des commandements , c'est de rendre simples les
représentations des choses. Celui de la lecture et de la contemplation, c'est de
rendre l'esprit sans matière et sans forme. D'où résulte la prière sans
distractions
5. Pour délivrer l'esprit des passions si parfaitement qu'il
puisse prier sans distraction, la voie active ne suffit pas, si elle n'est
suivie de diverses contemplations spirituelles. L'action en effet ne libère
l'esprit que du dérèglement et de la haine; les contemplations l'arrachent en
outre à l'oubli et à l'ignorance. Ainsi délivré, il pourra prier comme il
faut.
6. Au sommet de l'oraison pure, on distingue deux états, l'un pour les
actifs, l'autre pour les contemplatifs. Le premier est dans l'âme lÕeffet de la
crainte de Dieu et de la bonne espérance, le second, de lÕardeur de l'amour
divin et de la purification totale. Indices du premier état : l'esprit se
recueille, s'abstrait de toutes les pensées du monde et, dans la pensée que Dieu
est présent - et il l'est en effet - fait oraison sans distraction ni trouble.
Indices du second : l'esprit est ravi, dans l'élan même de la prière, par
l'infinie lumière de Dieu; il perd tout sentiment et de lui-même et des autres
êtres, excepté de Celui qui par lÕamour opère en lui cette illumination. Alors
aussi, attiré par les propriétés de Dieu, il acquiert de lui des notions pures
et pénétrantes.
7. A ce qu'on aime on s'attache sans réserve, méprisant tout
obstacle, de peur d'en être privé. Qui aime Dieu s'applique à l'oraison pure, et
toute passion qui lui fait obstacle, il la rejette.
8. Rejette lÕégoïsme,
source des passions, et tu n'auras plus de peine, Dieu aidant, à écarter les
autres : colère, tristesse, rancune, etc. Mais cède à la première, et tu seras,
malgré toi, blessé par la seconde. Par égoïsme, j'entends une passion dont
l'objet est le corps.
9. Voici les cinq motifs, louables ou non, pour
lesquels un homme, peut aimer un autre homme : 1° pour l'amour de Dieu : ainsi
le juste qui aime tout le monde, ou lÕhomme qui, sans être encore juste
lui-même, aime les justes; 2° par un instinct naturel, comme les parents aiment
leurs enfants, et réciproquement; 3° par vanité celui qui reçoit des louanges
aime celui qui les donne; 4° par cupidité : on aime le riche dont on reçoit de
l'argent; 5° par amour du plaisir : cas de ceux qui ne pensent que bonne chère
et plaisir sexuel. Le premier motif est bon, le second indifférent, les autres
viciés par la passion.
10. Un tel, tu le détestes, cet autre, tu ne l'aimes,
ni ne le hais; celui-ci, tu l'aimes, mais très modérément; celui-là, tu l'aimes
intensément... A ces différences, reconnais que tu es loin de lÕamour parfait
qui se propose d'aimer également tous les hommes.
11. Détourne-toi du mal, et
fais le bien. Autrement dit : combats tes ennemis, les passions, pour les
affaiblir; puis pratique la tempérance, de peur qu'elles ne reprennent force. Ou
bien : Lutte pour acquérir les vertus, puis sois tempérant afin de les garder.
Voilà sans doute ce que c'est qu'agir et veiller.
12. Ceux à qui Dieu a
permis de nous éprouver, tantôt excitent la puissance concupiscible de l'âme,
tantôt troublent l'irascible, tantôt obscurcissent la raison, ou bien ils
accablent le corps de douleurs, ou ravissent nos biens matériels.
13. Les
démons nous tentent soit par eux-mêmes, Soit en armant contre nous des hommes
sans crainte de Dieu. Par eux-mêmes, si nous vivons dans la retraite, comme le
Maître au désert, par les hommes, si nous demeurons en leur société, comme le
Maître parmi les Pharisiens. Mais nous, les yeux sur notre modèle, repoussons
l'une et lÕautre attaque.
14. L'esprit commence-t-il à progresser dans
l'amour de Dieu ? Le démon va chercher à le pousser au blasphème, lui suggérant
des pensées qu'un homme ne saurait trouver par lui-même, et qui ne peuvent venir
que du diable, leur père. S'il en use ainsi, c'est que, jaloux de l'ami de Dieu,
il veut qu'à la vue de telles pensées, il se désespère et n'ose plus, par sa
prière accoutumée, s'envoler vers Dieu. Mais le destructeur n'en tire aucun
avantage pour le but qu'il se propose : au contraire, il nous affermit
davantage. Car après attaques et contre-attaques, nous retrouvons notre amour
pour Dieu plus sûr, plus sincère. Que son épée lui perce le coeur, et que ses
flèches se brisent !
15. L'esprit, quand il s'applique aux objets visibles,
les perçoit naturellement par l'intermédiaire des sens. L'esprit n'est pas de
soi mauvais, ni cette perception naturelle, ni les objets, ni les sens : ce sont
oeuvres de Dieu. Où donc est le mal ? Évidemment dans la passion qui s'attache
aux représentations naturelles et que l'esprit, s'il veille, peut fort bien
écarter de l'usage qu'il fait des représentations.
16. La passion est un
mouvement de l'âme contre nature, par suite d'un amour sans raison, ou d'une
aversion irréfléchie pour un objet sensible quelconque, ou à cause de lui. Amour
sans raison, par exemple, de la bonne chère, dÕune femme, d'une fortune, d'une
renommée qui passe, de nÕimporte quel objet sensible, ou bien d'autre chose à
cause de cet objet. Aversion aveugle, soit pour un de ces objets, soit pour un
autre à cause de lui
17. Quant à la malice, elle est dans le jugement faux
porté sur les représentations et suivi de l'abus des choses. Ainsi, pour les
relations avec les femmes, la règle du jugement, c'est qu'elles soient ordonnées
à la procréation. Si donc on vise le plaisir, on juge mal, érigeant en bien ce
qui n'en est pas un et, conséquence nécessaire, on abuse de la femme en
s'unissant à elle. De même pour n'importe quel objet ou représentation.
18.
Quand les démons, attaquant ton esprit sur le terrain de la chasteté, l'obsèdent
de pensées de luxure, alors, en gémissant, dis au Seigneur : Ils m'ont chassé et
me pressent de tous côtés; ô ma joie, délivre-moi de ces assaillants ! (Ps
16,11) et tu seras sauvé.
19. Redoutable est le démon de la luxure. Il
s'attaque avec une force particulière à ceux qui luttent contre la passion,
surtout à la faveur de leur inattention à l'égard de leur nourriture, et des
rencontres qu'ils ont avec des femmes. A son insu, l'esprit se trouve envahi par
la douce impression du plaisir, que la mémoire lui rappelle ensuite, dans le
calme de la solitude. Et la chair s'échauffe, suscite en l'esprit des images de
toute sorte, le sollicite à consentir au péché. Si tu ne veux pas que de telles
pensées s'attardent en toi, insiste sur le jeûne, le travail pénible, les
veilles, la sainte vie de retraite dans une prière continuelle.
20. Ceux qui
sans cesse poursuivent notre âme pour la faire tomber dans le péché de pensée ou
d'action utilisent les pensées passionnées. Mais devant un esprit qui refuse
d'accueillir ces pensées, honteux, ils battront en retraite; et devant un esprit
occupé à la contemplation spirituelle, confondus, ils s'enfuiront, en
déroute.
21. Il joue le rôle de diacre, celui qui oint son esprit pour les
combats sacrés et en chasse les pensées passionnées; de prêtre, celui qui
l'illumine pour la connaissance des êtres et chasse complètement la fausse
connaissance; d'évêque, celui qui le perfectionne par la sainte onction qu'est
la connaissance de l'adorable et sainte Trinité.
22. La force des démons
diminue, quand la pratique des commandements affaiblit en nous les passions;
elle est détruite, quand enfin, par l'effet de la liberté intérieure, ces
passions ont disparu de l'âme. Car ils ne retrouvent plus en elle ces
complicités qui servaient de bases à leurs attaques. Et voilà sans doute le sens
du verset : Ils perdront leur force, et périront devant ta Face. (Ps 9,4)
23.
Il y a des hommes qui réfrènent leurs passions par respect humain; d'autres, par
vanité; d'autres, par maîtrise de soi; d'autres, qui en sont débarrassés par les
jugements de Dieu.
24. Les paroles du Seigneur se répartissent en quatre
groupes : préceptes, doctrine, menaces, promesses. Or, c'est à cause d'elles que
nous nous soumettons à tous les genres de pénitence : jeûnes, veilles, coucher
sur la dure, fatigues et peines dans l'exercice de la bienfaisance, injures,
mépris, supplices, mort, et autres semblables. Pour les paroles de tes lèvres,
est-il écrit, j'ai suivi des routes dures. (Ps 16,4).
25. La récompense de la
maîtrise de soi, c'est la liberté intérieure; celle de la foi, la connaissance.
Or, de la liberté intérieure naÎt le discernement, et de la connaissance l'amour
de Dieu.
.26. Marchant droit dans la voie de l'action, l'esprit progresse
vers la prudence; dans celle de la contemplation, vers la connaissance. La
première, en effet, conduit le Iutteur au discernement du bien et du mal; la
seconde mène l'initié à saisir les raisons des êtres corporels et incorporels.
Mais pour obtenir le don de science divine, il faudra, sur les ailes de lÕamour,
avoir dépassé tous les degrés qu'on vient d'énumérer, être en Dieu; et alors,
autant qu'il est possible à un esprit humain, par l'Esprit saint on pénétrera à
fond la nature de ses attributs divins.
27. Au seuil de la connaissance de
Dieu, ne cherche pas à connaÎtre son Essence : un esprit humain n'y saurait
parvenir; personne ne la connaît que Dieu. Mais considère à fond, tant que tu
peux, ses attributs, par exemple, son Éternité, son Infinité, son Invisibilité,
sa Bonté, sa Sagesse, sa Puissance qui crée, gouverne et juge les êtres. Car il
mérite entre tous le nom de théologien, celui qui cherche à découvrir, si peu
que ce soit, la vérité de ces attributs.
28. Puissant, lÕhomme qui jouit à
l'action la connaissance; par la première, il réfrène la convoitise et apaise la
colère, par la seconde, il donne à son esprit des ailes et émigre vers
Dieu.
29. Par ces paroles : Mon Père et Moi nous sommes un, le Seigneur
désigne l'identité de l'Essence. Par celles-ci : Je suis en mon Père et mon Père
est en Moi, il déclare que les Personnes sont inséparables. Les Trithéites, qui
séparent Fils et Père, se jettent donc dans une impasse. Car de deux choses
l'une : s'ils maintiennent que le Fils est coéternel au Père, tout en les
séparant lÕun de lÕautre, force, leur est de nier que le Fils soit engendré par
le Père, et donc de poser trois dieux, trois principes. Si au contraire ils
affirment la génération, tout en maintenant la séparation, force leur est de
nier que le Fils soit coéternel au Père, et de soumettre au temps le Maître du
temps. Conclus : avec lÕillustre Grégoire, maintenons lÕUnité de Dieu en
professant la Trinité des personnes, chacun avec ses traits distinctifs, car
elles sont, réalités distinctes, mais indivisible unité; elles sont et sous le
même rapport, a la fois Unité et Diversité. De sorte, que chaque aspect, tant
unité que diversité, reste incompréhensible. Sans quoi, où serait le mystère, si
le Fils et le Père étaient unis et distincts comme un homme et un autre homme,
sans plus ?
30. Celui qui, parvenu au sommet de la liberté intérieure,
possède la charité parfaite, ne fait plus de différence entre soi et autrui,
esclave et homme libre, homme et femme. Franchie la zone où règnent les
passions, il ne voit plus dans les hommes que leur unique nature : tous, il les
voit de niveau, pour tous il se sent le même coeur. Plus de Juif alors, ni de
Grec, plus dÕhomme ni de femme, plus d'esclave ni d'homme libre : le Christ est
tout en tous. (Gal 3,28)
31. Les passions cachées dans l'âme fournissent aux
démons le point d'appui d'où ils poussent en nous les pensées passionnées. Puis,
par ces pensées, ils assaillent l'esprit et de vive force le poussent à une
attitude de soumission au péché. Une fois dominé, ils l'amènent au péché de
pensée, puis, ce péché accompli, ils le précipitent, l'épée dans les reins, au
péché d'action. Enfin, ayant par ces pensées, complètement dévasté l'âme, ils se
retirent avec elles, et seul reste dans l'âme, dressé, comme une idole, le
péché. Quand vous verrez, dit le Seigneur, l'abomination de la désolation
dressée dans le lieu saint... Que celui qui lit comprenne ! Le lieu saint, le
temple de Dieu dans l'être humain, c'est l'esprit, où les démons, après avoir
ravagé l'âme par les pensées passionnées, ont dressé, l'idole du péché. Quant à
son application historique, cette prédiction s'est déjà réalisée : la lecture de
Josèphe, à mon avis, ne permet aucun doute. Certains pourtant disent que tout
cela se reproduira aux jours de l'Antichrist.
32. Trois forces nous meuvent
au bien : les tendances profondes de la nature, les bons anges, la volonté
bonne. Le fonds de la nature, quand nous faisons à autrui ce que nous voudrions
qu'on nous fÎt, ou que, voyant un homme dans une situation critique, nous
éprouvons pour lui une pitié naturelle; les bons anges, quand, prêts à une bonne
action, nous sentons leur concours favorable et cheminons sans difficulté; la
volonté bonne quand, discernant le bien et le mal, nous choisissons délibérément
le bien.
33. Inversement, trois forces nous poussent au mal : les passions,
les démons, la volonté mauvaise. Les passions, quand nous sentons une convoitise
déraisonnable : manger à contretemps, sans nécessité , jouir d'une femme,
surtout si ce n'est pas la nôtre, en refusant de procréer des enfants; quand
nous nous mettons en colère, que nous nous laissons aller outre mesure à
l'amertume, contre un homme, par exemple, qui nous a manqué d'égards ou fait du
tort; les démons, quand par exemple, à un moment de négligence, nous sommes tout
d'un coup violemment assaillis comme par un adversaire à l'affût, qui bouleverse
les passions dont nous venons de parler; la volonté mauvaise, quand, sachant où
est le bien, nous choisissons le mal.
34. Pour récompense, le dur effort de
la vertu obtient la liberté intérieure et la connaissance. Ce sont elles qui
introduisent au royaume des cieux, comme les passions et l'ignorance au
châtiment éternel. Mais si quelqu'un les désire pour la gloire humaine et non
pour le seul bien, qu'il écoute l'Écriture : Vous demandez et vous n'obtenez
pas, parce que vous demandez mal. (Jac 4,3).
35. Bien des actions humaines,
bonnes en elles-mêmes, peuvent cesser de l'être à cause de leur motif. Le jeûne,
les veilles, l'oraison et le chant des psaumes, l'aumône, lÕhospitalité sont en
soi de bonnes actions faites par vanité, elles cessent de l'être.
36. En
toutes nos actions, Dieu considère l'intention : si nous agissons pour Lui, ou
pour un autre motif.
37. Le mot de l'Écriture : Car Tu rendras à chacun selon
ses oeuvres, signifie que Dieu récompense les bonnes actions; non pas celles qui
paraissant bonnes, sont faites contre l'intention droite; mais celles qui
procèdent de l'intention droite, bien entendu. Car le jugement de Dieu ne porte
pas sur l'acte même, mais sur l'intention.
38. Le démon de lÕorgueil a deux
tactiques : ou il suggère au moine, de s'attribuer à soi-même les bonnes
oeuvres, au lieu de les rendre à Dieu, MaÎtre de tout bien, aide de tout succès,
ou bien, si le moine fait la sourde oreille, il lui inspire du mépris pour ses
frères encore imparfaits. Et cette tentation-là, sans qu'on s'en doute, mène à
refuser l'aide de Dieu, car mépriser les autres comme n'ayant pas su bien agir,
cela revient à attribuer ses bonnes actions à ses propres forces. Erreur
profonde, a dit le Maître : Sans Moi vous ne pouvez rien faire. Notre faiblesse,
en effet, même si nous sommes orientés vers le bien, nous empêche de pousser
jusquÕau bout sans le concours du Guide des bonnes action.
39. Qui connaît la
faiblesse de la nature humaine a acquis l'expérience de la force de Dieu. Avec
elle, tantôt il a bien agi, tantôt il s'est efforcé de bien agir, mais sans
jamais mépriser personne. Car il sait bien que l'aide divine qui l'a délivré de
passions nombreuses et tenaces peut tout aussi bien se prêter aux autres, quand
Dieu le voudra, ç ceux surtout qui pour Lui sont en pleine bataille. Il peut ne
pas les délivrer tout dun coup de leurs passions : Il sait pourquoi, il prend
son temps et, comme un médecin bon et charitable, applique à chacun de ces
hommes de bonne volonté le traitement qui convient.
40. Quand les passions
sommeillent, l'orgueil surtout, tantôt de causes inconscientes, tantôt d'une
attaque sournoise, des démons.
41. Presque tous les péchés ont pour cause le
plaisir et sont effacés par la souffrance et les peines intérieures, volontaires
ou non, par le repentir, par les peines que, suivant ses plans, la Providence
nous envoie. Si nous nous jugeons nous-mêmes, nous ne serons pus jugés. Le
Seigneur, Lui, nous juge et nous châtie pour que nous ne soyons pas condamnés
avec le monde.
42. Quand l'épreuve arrive sur toi à l'improviste, ne t'en
prends pas à celui par qui elle te vient; cherches-en le but, et tu trouveras la
façon d'en profiter. Quelle le soit venue, d'ici ou de là, il tÕaurait fallu
vider la coupe amère des décrets de Dieu.
43. Mauvais comme tu l'es, accepte
sans regimber la souffrance : elle t'humiliera, et tu vomiras ton
orgueil.
44. Certaines tentations provoquent le plaisir d'autres, la
tristesse; d'autres, les douleurs physiques. Car le médecin des âmes, par ses
décrets adapte le remède à ce qui, dans l'âme, est racine des passions.
45.
Les attaques de la tentation ont pour but, ici, la rémission des fautes passées;
là, celle des péchés du moment; ailleurs, elles préviennent les fautes à venir.
Sans compter celles qui ne sont, que pour l'épreuve de la vertu, celles de Job
par exemple.
46. L'homme avisé, voyant dans les décrets divins la guérison,
reçoit avec reconnaissance les malheurs qu'ils lui apportent : ils n'ont pas
dÕautre cause, se dit-il, que ses péchés à lui. Mais l'insensé qui ne sait rien
de la très sage Providence de Dieu, lorsqu'il est puni pour ses péchés, s'en
prend à Dieu ou à son prochain des maux qu'il endure.
47. Certains remèdes
immobilisent les passions, les empêchent de se mettre en branle et de
s'intensifier; d'autres les affaiblissent, les réduisent. Ainsi le jeûne, les
durs travaux, les veilles empêchent la convoitise de prendre force; la solitude,
la contemplation, la prière, l'affaiblissent et tendent à la détruire. De même
pour la colère : la longanimité, l'oubli des injures, la douceur l'immobilisent,
lÕempêchent de prendre force, lÕamour, l'aumône, la bonté, la bienfaisance la
réduisent peu à peu.
48. Chez l'homme dont l'esprit est tout entier tourné
vers Dieu, même la convoitise donne des forces à lÕamour brûlant pour Dieu, même
la puissance irascible se porte dÕune pièce vers la charité divine. C'est qu'a
la longue, la participation a l'illumination divine l'a rendu lumineux lui-même
et concentrant en soi toute la force de ses puissances inférieures, il l'a
tournée vers un amour brûlant, insatiable, comme je viens de le dire, et une
charité sans limite pour Dieu, la convertissant totalement du terrestre au
divin.
49. Ne garder ni envie, ni colère, ni rancune contre l'offenseur, ce
n'est pas encore avoir pour lui lÕamour. On peut, sans charité, aucune, éviter
de rendre le mal pour le mal, parce que c'est la loi, mais on n'ira pas,
spontanément, rendre le bien pour le mal, car cette disposition de faire du bien
à ceux qui nous détestent est propre au parfait amour spirituel.
50. Ne pas
aimer quelquÕun, ce n'est pas pour autant le haïr; pas pus que ne pas le haïr,
ce n'est pour autant l'aimer. On peut être à son égard comme entre deux :
n'aimer ni ne haïr. Car l'amour habituel, il faut pour le produire une des cinq
causes - bonnes, indifférentes, mauvaises - énumérées dans la présente centurie,
sentence 9.
51. Si tu constates que ton esprit s'occupe avec plaisir d'objets
matériels et s'attarde à considérer leurs représentations, reconnais que tu
préfères ces objets à Dieu. Où est ton trésor, là est ton coeur. (Mt
6,21).
52. L'esprit uni à Dieu, et de manière habituelle, par la prière et
lÕamour, acquiert sagesse, bonté, puissance, bienfaisance, libéralité, grandeur
dÕâme... bref, il porte en lui-même, pour ainsi dire, les attributs de Dieu.
Mais qu'il abandonne ces dispositions pour s'orienter vers les objets matériels,
il deviendra vite un véritable animal, s'il ne cherche que son plaisir, et même
un animal sauvage, si pour ces objets il entre en lutte avec les autres.
53.
Le monde, pour l'Écriture, c'est l'ensemble des objets matériels et les
mondains, ceux dont l'esprit est accaparé par ces objets. A eux s'adressent ces
objurgations : N'aimez pas le monde, ni ce qui vient du monde : la convoitise de
la chair, la convoitise des yeux, l'ostentation du genre de vie. Cela n'est pas
de Dieu, mais du monde... et la suite. (1 Jn 2,15).
54. Est moine celui qui a
séparé son esprit du monde matériel pour s'attacher fermement à Dieu par la
maîtrise de soi, lÕamour, le chant des psaumes, la prière.
55. LÕéleveur, au
sens spirituel, c'est l'homme dÕaction. Les vertus morales acquises, en effet,
sont figurées par les bestiaux, et c'est pourquoi Jacob disait : Tes enfants
seront des élévateurs. Le berger, c'est le gnostique. Car les pensées sont des
moutons, gardés par l'esprit sur les montagnes de la contemplation; et c'est
pourquoi tous les bergers sont objet d'horreur pour les Égyptiens, (Gen 47,5)
autrement dit les puissances ennemie.
56. Dépravé, l'esprit suit le corps que
ses sens entraînent sur la pente de ses convoitises et de ses plaisirs propres;
et il consent à ses imaginations et impulsions. Vertueux, il garde la
tempérance, résiste aux imaginations et, impulsions passionnées; bien plus, il
s'efforce de tourner au bien les motivements de ce genre qu'il éprouve.
57.
On distingue vertus du corps et vertus de l'âme. Du corps : jeûne, veilles,
coucher sur la dure, service des autres, travail manuelle, pour n'être à charge
à personne ou pour faire lÕaumône, etc... De l'âme : amour, longanimité,
douceur, tempérance, prière, etc. Si un obstacle, l'état de notre corps, la
fatigue ou autre chose nous rend une fois ou l'autre incapables de pratiquer les
premières, le Seigneur, qui voit les causes, nous en tient quittes. Mais si nous
ne pratiquons pas celles de lÕâme, nous sommes sans excuse, car elles ne
connaissent aucun obstacle.
58. L'amour de Dieu, quand on le possède, porte
au mépris de tout plaisir qui passe, de tout labeur, de tout chagrin. A preuve
les saints, qui tous ont souffert pour le Christ.
59. Évite l'égoïsme, père
de tous les vices. Par égoïsme, j'entends un attachement déraisonnable au corps.
C'est lui incontestablement qui engendre la folie des trois pensées passionnées
premières et fondamentales, celles de la gourmandise, de la cupidité, de la
vaine gloire. Ce sont les exigences du corps qui les déchaînent, et d'elles naît
tout le cortège des vices. C'est, je le répète, une nécessité et un devoir
d'être sur ses gardes et de lutter contre cet égoïsme par une grande tempérance.
Une fois éliminé, tous ses effets le sont avec lui.
60. Au moine la passion
de l'égoïsme suggère d'avoir pitié de son corps, et peu à peu de le nourrir
mieux qu'il ne convient. De là, sous prétexte de sage gouvernement de soi-même,
par une lente déviation, elle le mène à la chute dans le gouffre de la volupté.
Au mondain, elle propose d'emblée de s'occuper de ce corps en servant sa
convoitise.
61. Le plus haut état de la prière, dit-on, c'est lorsque
l'esprit sort de la chair et du monde et, dans l'acte de la prière, perd toute
matière et toute forme. Se maintenir sans défaillance en cet état, c'est en
réalité prier sans cesse.
62. De même que le corps en mourant, se sépare de
tous les biens de cette vie, de même, l'esprit qui au sommet de la prière meurt
lui aussi quitte toutes les représentations qu'il a du monde. Car sans mourir de
cette mort-là, il ne saurait se trouver et vivre avec Dieu.
63. Ne te laisse
jamais persuader, ô moine, que tu peux faire ton salut si tu es serviteur du
plaisir et de la vaine gloire.
64. Le corps, entraîné au péché par les
objets, a pour se corriger les vertus corporelles qui le rendront sage.
Pareillement l'esprit, entraîné, au péché par les pensées passionnées, a pour se
corriger les vertus de l'âme, et la sagesse, pour lui, consiste à voir toute
chose dans la simplicité et la liberté intérieure.
65. La nuit suit le jour,
lÕhiver suit l'été et, soit en cette vie soit en l'autre, chagrins et
souffrances suivent la vanité et la sensualité.
66. Le Péché commis, le
jugement viendra, inéluctable, à moins quÕici-bas on ne s'impose des peines ou
quÕon nÕendure des afflictions.
67. On distingue cinq raisons pour lesquelles
Dieu permet aux démons de nous attaquer : 1) pour qu'attaques et contre-attaques
nous mènent au discernement du bien et du mal; 2) pour que notre vertu maintenue
dans l'effort et la hâte s'affermisse sur une assise inébranlable; 3) pour
qu'avançant dans la vertu nous évitions la présomption et apprenions l'humilité;
4) pour nous inspirer, par l'expérience que nous en faisons alors, une haine
sans réserve pour le mal; 5) et surtout, pour que, parvenus à la liberté
intérieure, nous demeurions convaincus et de notre faiblesse, et de la force de
Celui qui nous a secourus.
68. L'esprit, chez un affamé, se représente du
pain; chez un homme qui a soif, de l'eau; chez un gourmand, des plats de toute
sorte; chez un voluptueux, de belles femmes; chez un vaniteux, des compliments;
chez un avare, des bénéfices; chez un rancunier, une bonne vengeance contre
l'offenseur; chez un envieux, le malheur de celui qu'il envie... et ainsi de
toutes les passions car l'esprit tourmenté de passion accueille les pensées
passionnées, qu'il veille ou qu'il rêve.
69. Lorsque la convoitise est
excitée, l'esprit voit en rêve ce qui fait la matière du plaisir. Quand c'est la
colère, il voit ce qui provoque la crainte. De plus, les démons impurs
s'emploient à fortifier nos passions et, en s'appuyant sur notre négligence
complice, il les excitent. Les bons anges, au contraire, les apaisent et nous
poussent à la pratique des vertus.
70. Si la puissance concupiscible de l'âme
est trop souvent excitée, elle crée en elle une propension habituelle au
plaisir, dont on aura peine à se défaire. Si lÕirascible est constamment
troublée, elle rend lÕesprit peureux et lâche. Le remède, c'est dans le premier
cas la pratique assidue du jeûne, des veilles, de la prière, dans le second la
bonté, la bienfaisance, lÕamour et la miséricorde.
71. Les démons attaquent
soit au moyen des objets eux-même, soit au moyen des représentations passionnées
qu'ils comportent; par les objets, ceux qui vivent au milieu des objets; par les
représentations ceux qui vivent séparés des objets.
72. Autant le péché de
pensée est plus facile que le péché d'action, autant le combat contre les
pensées est plus dur que le renoncement aux objets.
73. Les objets sont
extérieurs à l'esprit; leurs représentations, elles, sont dans l'esprit. C'est
donc de l'esprit que dépend le bon ou le mauvais usage des objets; car le
mauvais usage des objets est conséquence du mauvais usage des
représentations.
74. Trois voies donnent accès dans l'esprit aux pensées
passionnées : la sensation, la complexion physique, la mémoire. La sensation,
quand se présentent des objets qui nous passionnent, ce qui pousse
l'esprit
aux pensées passionnées. La complexion physique, quand, par suite
d'une vie peu réglée, ou de l'action des démons, ou d'une maladie, la santé du
corps s'altère, inspirant à l'esprit des pensées passionnées même contre la
Providence. La mémoire enfin, quand renaît le souvenir des objets qui nous
passionnent, ce qui inspire également à l'esprit des pensées passionnées.
75.
Les choses mises par Dieu à notre usage sont soit dans notre âme, soit, dans
notre corps, soit autour de notre corps. Ainsi, dans notre âme, ses facultés
dans notre corps, les organes des sens, les autres membres, autour de notre
corps, la nourriture, la fortune, etc... De toutes ces choses par conséquent, et
des accidents qui les modifient, l'usage que nous faisons, s'il est bon, prouve
notre vertu, s'il est mauvais, notre méchanceté.
76. De ces accidents qui
modifient les choses, nous avons des exemples et dans le monde de l'âme, et dans
celui du corps, et dans celui qui entoure le corps. Monde de l'âme; oubli ou
souvenir, amour ou haine, timidité ou audace, tristesse ou joie, etc. Monde du
corps : plaisir ou douleur, agilité ou infirmité, santé ou maladie, vie ou mort,
et ainsi de suite... Monde extérieur : fécondité ou stérilité, richesse ou
pauvreté, célébrité, ou obscurité, etc... De ces contraires, les hommes
appellent l'un un bien, l'autre un mal; mais de soi, ils n'ont rien de mauvais;
c'est l'usage qu'on en fait qui les rend à proprement parler soit mauvais, soit
bons.
77. La connaissance est un bien par nature. De même la santé. Pourtant,
leurs contraires se sont, la plupart du temps, montré plus utiles qu'elles.
C'est que dans un sujet dépravé la connaissance n'entraîne pas le bien, quoique,
je le répète, elle soit par nature un bien. Et pas davantage la santé, la
fortune, la joie. Un tel homme, en effet, ne sait pas s'en servir. Le contraire
lui est plus utile. Aussi bien, ces contraires ne sont pas en soi mauvais,
malgré l'apparence.
78. Garde-toi d'abuser de tes pensées, sinon tu en
viendras fatalement à abuser aussi des choses : on ne pécherait jamais en
action, si on ne péchait d'abord en pensée.
79. L'image de l'homme terrestre,
ce sont les vices fondamentaux, comme la sottise, la lâcheté, l'intempérance,
l'injustice. L'image de l'homme céleste, ce sont les vertus fondamentales, comme
la prudence, la force, la tempérance, la justice. Mais tout comme nous avons
porté l'image du terrestre, nous porterons aussi l'image du céleste.
(1 Cor
15,49).
80. Veux-tu trouver la route qui conduit à la vie ? Elle n'est autre
que Celui qui déclare : Je suis le chemin, la vie, la vérité. Cherche de ce
côté, et tu trouveras. Mais cherche bien, prends la peine, car ils sont rares,
ceux qui la trouvent, et tu risquerais, exclu de ce petit nombre, de rester dans
la foule.
81. Cinq causes peuvent détourner l'âme du péché : le respect
humain, la crainte du jugement, l'espoir de la récompense, l'amour de Dieu,
enfin le remords de la conscience.
82. Certains prétendent qu'il n'y aurait
pas de mal dans les êtres, sans une seconde puissance, qui de son côté nous tire
vers ce mal. En fait, cette puissance n'est autre que notre négligence à l'égard
de l'activité naturelle de l'esprit. Ceux qui ont soin de cette activité se
conduisent toujours bien, jamais mal. Si donc tu veux, toi aussi, secouer ta
négligence, avec elle tu chasses la malice, c'est-à-dire le mauvais usage des
pensées, qui a pour conséquence le mauvais usage des choses.
83. Il est dans
la nature de notre partie raisonnable d'être soumise d'une part au Verbe divin,
et d'autre part de régler en nous la partie irraisonnable. Que cet ordre soit
toujours respecté et il n'y aura plus dans le monde ni mal, ni rien qui pousse
au mal.
84. On distingue les pensées simples et les pensées complexes.
Simples, les pensées sans passion; complexes, les pensées passionnées, composées
de passion et de représentation. Ainsi l'on peut constater que nombre de pensées
simples font escorte aux pensées complexes, dès le premier mouvement vers le
péché de pensée. Ainsi, en matière d'argent : dans la mémoire d'un tel surgit
une pensée passionnée au sujet d'une somme d'argent, en imagination, il se porte
au vol; le péché est consommé dans l'esprit. Au souvenir de l'argent faisaient
escorte celui de la bourse, du coffre, de l'appartement que sais-je ? Le
souvenir de l'argent était complexe : à lui s'attachait la passion; tandis que
celui de la bourse, du coffre et autres était simple, l'esprit n'ayant aucune
passion pour ces objets. Et ainsi de toute pensée : vaine gloire, femmes ou
autres. Les pensées qui escortent la pensée passionnée ne sont pas pour autant
passionnées, c'est trop clair. Et ceci nous permet de discerner de quelle nature
sont les pensées passionnées et de quelle nature les pensées simples.
85.
Certains prétendent que les démons viennent toucher pendant le sommeil les
parties honteuses, ce qui émeut les passions de Iuxure; puis cette passion mise
en branle suscite à travers la mémoire jusqu'en l'esprit une image de femme.
Pour d'autres, ces mêmes démons apparaîtraient à l'esprit sous forme de femmes,
toucheraient les parties honteuses pour provoquer le désir; et ainsi surgiraient
les images. Pour d'autres au contraire, c'est la passion propre du démon qui,
lorsqu'il s'approche, excite la nôtre; et pendant qu'elle suscite les images
dans la mémoire, l'âme s'attache aux pensées. On pourrait en dire autant de
toutes les images passionnées et expliquer leur apparition de telle ou telle
manière. Une chose est certaine; c'est qu'en aucun cas les démons n'acquièrent
le pouvoir dÕexciter une passion, qu'on dorme ou qu'on veille, si lÕamour et la
maîtrise de soi résident dans l'âme.
86. Parmi les préceptes de la loi, il en
est dont nous devons garder et la lettre et l'esprit, et d'autres, dont nous ne
devons garder que l'esprit. Lettre et esprit : tu ne seras pas adultère, tu ne
tueras pas, tu ne mentiras pas, et autres de ce genre (et l'observation
spirituelle est triple). Esprit seulement : la circoncision, le repos du sabbat,
l'immolation de l'agneau, le repas de pains azymes et d'herbes amères, et autres
du même genre.
87. On distingue trois étapes plus importantes du
développement moral chez le moine : ne commettre aucun péché d'action; ne
s'attarder jamais à une pensée, passionnée; garder la paix de l'âme en face des
représentations impures ou souvenirs d'offenses reçues qui se présentent à la
pensée.
88. Le pauvre est celui qui a renoncé à tous ses biens pour ne garder
sur terre absolument rien d'autre que son corps et qui, ayant brisé
l'attachement même qu'on a pour ce corps, a confié à Dieu et aux hommes
spirituels le gouvernement de sa personne.
89. Certains riches n'ont pas la
passion de ce qu'ils possèdent. Aussi, même dépouillés, ils n'éprouvent aucun
chagrin, témoins ces hommes qui ont accepté avec joie le pillage de leurs biens.
Les autres ont cette passion. Aussi, menacés de ruine, ils s'affligent, comme le
riche de l'Évangile, qui s'en alla tout triste. Et, ruinés, ils se désespèrent à
en mourir. Ainsi la pierre de touche de l'âme sans passion et de l'âme
passionnée, c'est la privation.
90. Les démons font la guerre à ceux qui ont
atteint les sommets de l'oraison, pour les empêcher de percevoir à l'état pur
les représentations des objets sensibles, aux gnostiques, pour faire durer en
eux les pensées passionnées; aux militants de la vie active, pour les pousser au
péché d'action. Contre chacun ils ont une méthode, visant dans leur scélératesse
à séparer de Dieu les hommes.
91. Ceux qu'en cette vie la Providence de Dieu
éprouve pour les exercer a la vie intérieure subissent trois sortes de
tentations, celle de la prospérité, par où leur viennent santé, beauté,
fécondité, fortune, célébrité, etc...; celle du malheur, quand ils perdent
enfants, fortune, réputation; celle de la douleur, qui inflige à leur corps
maladies ou autres supplices. Aux premiers s'applique cette parole du Seigneur :
Qui ne renonce à tout ce qu'il possède, ne peut être mon disciple. (Lc 19,33)
Aux deux autres, celle-ci : Par votre patience, vous gagnerez vos âmes. (Lc
21,19).
92. Il est, dit-on, quatre forces qui modifient l'état du corps, et
fournissent ainsi à l'esprit des pensées passionnées ou non : les anges, les
démons, l'atmosphère, la nourriture. Les anges, dit-on, le modifient par parole;
les démons, par attouchement, l'atmosphère, par ses variations; la nourriture,
par les qualités des mets et des boissons, leur abondance ou leur rareté. En
outre, il y a les modifications qui viennent à l'âme par la mémoire, l'ouïe et
la vue et on elle est directement affectée par ce qui lui arrive, chagrins ou
joies. Alors c'est l'âme qui subit ces impressions et modifie l'état du corps;
tandis que, dans les cas ci-dessus énumérés, c'est l'état du corps qui, modifié,
fournit à l'esprit des pensées.
93. La mort, c'est à proprement parler la
séparation d'avec Dieu; l'aiguillon de la mort, c'est le péché. Adam y
consentit, d'où son exil loin de l'arbre de vie, du paradis de Dieu, tout à la
fois; et, conséquence nécessaire, la mort du corps. La vie, au vrai sens du mot,
c'est Celui qui a dit : C'est moi la vie, Celui qui par sa mort ramène à la vie
l'homme qui était mort.
94. On écrit soit pour se rappeler, soit pour rendre
service (ou les deux à la fois), soit pour blâmer tels ou tels, soit pour se
mettre en valeur, soit par nécessité.
95. Le pâturage, c'est la vertu active.
L'eau du repos, c'est la connaissance des êtres.
96. L'ombre de la mort,
c'est la vie humaine. Qui est avec Dieu et Dieu avec lui, celui-là a le droit de
dire : Et quand je marcherais dans l'ombre de la mort, je ne craindrais aucun
mal, car Tu es avec moi.
97. Un esprit purifié voit les choses en leur
rectitude; une parole exercée les exprime clairement, une oreille fine les
perçoit bien. Mais l'homme dépourvu de ces qualités s'en prend à celui qui a
parlé.
98. Est avec Dieu lÕhomme qui apprend à connaître la sainte Trinité,
ses oeuvres, sa Providence, et qui au fond de son âme tient ses passions dans le
calme complet.
99. La houlette, d'après certains, désigne le jugement de Dieu
et le bâton, sa Providence. Quand on a obtenu la connaissance de ce jugement et
de cette Providence, on a donc droit de dire : Ta houlette et ton bâton, voilà
ce qui m'a consolé.
100. C'est lorsqu'il a été dépouillé des passions et
qu'il s'illumine dans la contemplation des êtres, que l'esprit devient capable
de parvenir à Dieu et de prier comme il le
doit.